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Patiente partenaire, experte du vécu expérientiel, « Je suis le trait d’union entre l’art, le savoir expérientiel et la parole partagée »
Émilie Fontaine est photographe et enseignante en photographie, après un premier parcours professionnel tourné vers les personnes en situation de vulnérabilité, en tant qu’aide-soignante. Ce double ancrage – le soin puis l’image – nourrit son regard et sa manière de travailler : attentive, sensible et profondément humaine.
En 2022, elle apprend qu’elle est atteinte d’un cancer du sein. Cette épreuve intime bouleverse son rapport au temps, à son corps et aux autres. Elle réalise alors une série d’autoportraits marquant la fin de sa dernière chimiothérapie : des images où le mouvement traduit à la fois les traces laissées par la maladie et une volonté résolue de se tourner vers l’après.
Elle suit le DIU « Personnes expertes en situation de handicap » à l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne et s’engage comme patiente ressource auprès de la Ligue contre le cancer, offrant écoute et soutien à d’autres personnes confrontées à la maladie.
Toujours curieuse d’élargir son champ d’action, elle a effectué un stage au CLARA (Cancéropôle Lyon Auvergne Rhône-Alpes), qui lui a permis de découvrir le rôle des patients partenaires en recherche. Cette rencontre l’a sensibilisée à la place des personnes concernées dans la production des savoirs.
Comment as-tu découvert la notion de partenariat patient en recherche ?
J’ai découvert la notion de partenariat patient en recherche lors d’un événement en mars 2024, en participant à une table ronde à l’École des Mines de Saint-Étienne, organisée dans le cadre de l’exposition Cancer avec la Rotonde et la Ligue Contre le Cancer comité de la Loire. Puis, j’ai vraiment développé et compris la notion de partenariat patient lors de mon stage au CLARA. Mon objectif initial était d’observer, de découvrir sans attente particulière. C’est au contact des équipes et du groupe ECLAIR que j’ai réellement compris ce que signifiait être patient partenaire, notamment en recherche. Ce qui m’a marquée, c’est la possibilité pour les patients de ne pas seulement être « objets » d’étude, mais de devenir de véritables acteurs, porteurs de savoirs expérientiels qui enrichissent les pratiques et la réflexion scientifique.
D’où est venue l’idée de réaliser un récit imagé et écrit autour de la question « Qui sont les partenariats patients en recherche ? »
Dans le cadre de mon D.I.U. Personnes Expertes en Situation de Handicap, j’avais pour consigne de réaliser, au cours de l’année, un mémoire — plus précisément appelé portfolio — dont les orientations étaient beaucoup plus larges qu’un mémoire classique. Nous disposions de champs libres pour aborder de nombreux aspects. Il m’a donc semblé naturel d’intégrer dans ce récit l’image, le dessin et l’écriture. Cela donnait tout son sens à ma démarche : transmettre un savoir autrement, en ouvrant une accessibilité différente, plus sensible et plus incarnée. C’était une façon de donner du sens à l’ensemble de mon thème : Entre fragilité et force, mon chemin vers le partenariat en santé.
L’idée du récit imagé et écrit est née de mon besoin de mettre en mots et en images ce que je traversais. La photographie fait partie de mon identité et de ma manière d’analyser le monde : elle me permet de capter des instants, mais aussi de révéler des regards. Associer texte et image était une évidence pour traduire cette expérience.
Qu’espérais tu transmettre ou faire comprendre à travers ce récit ?
À travers ce récit, j’ai surtout voulu faire un point d’étape : comprendre pourquoi je me retrouvais aujourd’hui dans ce DIU de personne experte en situation de handicap, après la traversée de mon cancer. Donner du sens à cette formation, mais aussi ouvrir une réflexion sur qui sont, concrètement, les patients partenaires d’aujourd’hui, notamment au sein du CLARA.
Si j’ai choisi ce format, c’est aussi parce que je n’avais pas l’ambition de convaincre dans un cadre académique strict. Bien au contraire, je voulais montrer qu’un mémoire pouvait devenir un récit vivant, incarné, où se croisent mes compétences, ma personnalité et ma manière de transmettre.
C’est aussi une manière d’ouvrir à une autre dimension. D’aller au-delà des mots et de l’écrit. C’est ouvrir la perspective de l’image, du dessin, du volume. C’est offrir autre chose, un autre attrait, une autre porte d’entrée pour comprendre et ressentir.
Dans ton rôle de patiente partenaire stagiaire, quelles ont été tes principales découvertes ou apprentissages ?
J’ai découvert au CLARA, durant ce stage, une structure innovante dans le domaine du partenariat recherche autour du cancer. J’y ai rencontré un groupe de patients experts impliqués dans la recherche, mais j’y ai trouvé bien plus que cela : des acteurs aux profils variés qui gravitent autour de la cancérologie, ainsi qu’une équipe pluridisciplinaire à la fois complète et profondément humaine.
J’ai également découvert la collaboration avec les chercheurs. Ce qui m’a surtout marquée, ce sont les stratégies de travail, les modes de communication et la manière dont les différents pôles collaborent.
J’ai appris ;
Quelles difficultés ou questionnements as-tu rencontrés dans ce rôle ?
Les difficultés, pour moi, ont été d’oser prendre la parole par moment sans me demander si j’étais « légitime ». Delphine Fabre (*) m’a fait confiance et cela m’a permis de prendre des initiatives.
La question qui m’a souvent habitée : quand je parle, est-ce que je parle en tant que patiente, en tant que femme, en tant qu’enseignante, ou un mélange de tout ça ? Savoir d’où je parlais était primordiale, d’où cette fameuse paire de lunette !
(*) Cheffe de projet Innovation Sociale, parcours de soins et démocratie en santé au CLARA)
Comment as-tu perçu la collaboration avec les chercheurs et les équipes ?
J’ai senti que la collaboration avec les chercheurs pouvait varier grandement selon les projets. Parfois, elle était très fluide, compréhensive, presque naturelle. D’autres fois, elle me paraissait plus complexe, et je percevais encore des questions ouvertes sur la place du patient, nécessitant des ajustements. Ces moments m’ont fait réfléchir à ce que signifie vraiment être patient partenaire et à la nécessité de continuer à construire cet équilibre.
Selon toi, qui sont les patients partenaires en recherche ?
Pour moi, les patients partenaires, ce sont des personnes qui ont traversé la maladie ou la traverse, et qui décident de transformer ce vécu en ressource, sans le lisser, sans le neutraliser. Un patient partenaire c’est avant tout une personne qui fait un pas de côté et qui met son savoir expérientiel au profit de la recherche. Toutefois, des limites apparaissent nettement : manque de reconnaissance institutionnelle, flou statutaire, tensions entre engagement bénévole et professionnalisation.
Comment vois-tu l’avenir du partenariat patient dans la recherche, en particulier en cancérologie ?
Je crois que le partenariat patient en cancérologie est prometteur, mais pour moi, il n’en est encore qu’au tout début. Il est en marche, juste en train de se construire.
Pour moi, l’avenir du partenariat patient en recherche, et particulièrement en cancérologie, passe par un dépassement des clivages actuels. Aujourd’hui, on se retrouve encore trop souvent autour d’une table en distinguant qui est patient, chercheur, médecin ou oncologue. Tant que l’on restera concentrés sur ces distinctions, les collaborations avanceront lentement. Je pense qu’une fois cette phase dépassée, où chacun peut pleinement contribuer sans être enfermé dans son rôle, le partenariat patient pourra réellement se déployer et progresser beaucoup plus vite.
En résumé : il faut dépasser les clivages de rôle pour que le partenariat patient atteigne tout son potentiel.
L’essentiel sera de préserver l’équilibre entre la rigueur scientifique et le vécu humain pour que cette démarche puisse vraiment transformer la manière de faire de la recherche.
Si tu pouvais transmettre un message aux chercheurs ou aux futurs patients partenaires, quel serait-il ?
« Osez la rencontre. Ne « cherchez » pas à gommer les différences de langage ou de posture. C’est dans ces écarts, dans ces frottements parfois inconfortables, que naît la vraie richesse du partenariat. »